De là où je suis, je tÕécris à là où tu es ! Pour te dire que tu me manques. Que tu manques à tes enfants. Mon père nous a quittés tôt. Très tôt. Te laissant seule avec 10 enfants. Tes 10 enfants que le sort a voulu que tu les élèves seule.. Avec des moyens dérisoires. Une petite retraite que tÕa laissée mon père.
Je me souviens des chemises et des pyjamas que tu nous confectionnais toi-même. Je ne les aimais pas car le col me serrait toujours. Mais je nÕavais pas le choix. Je devais les porter. Je me souviens des plats que tu préparais. Servis dans de minuscules assiettes mais bien remplies pour nous donner lÕimpression quÕon nÕest pas privés puisque lÕassiette est pleine. Tu faisais ce que tu pouvais pour que tes enfants soient propres et bien éduqués aux yeux des voisins. El-djiranes surtout. Pas aux yeux de la famille. Et je nÕai jamais compris pourquoi tu accordais plus dÕimportance aux regards des voisins quÕà ceux de la famille. JusquÕà ce que Cherif mÕexplique. Que dans ton effort de nous élever, tu étais plus aidée par les voisins que par la famille. Cette façon de te sentir obligée de rendre des comptes parce quÕon tÕa été aidé mÕa toujours attristée. Et je me sentais impuissant devant ce que je considérais comme une injustice.
Je me souviens encore de ta peine, lors de la finale de la coupe du monde de foot de 1974 ! Tes 4 fils étaient privés de télé noir et blanc. Mais on était tous les 4 lÕoreille collée au mur de notre voisin policier pour écouter le son de leur télé et suivre cette rencontre entre la RFA et la Hollande à travers le son pas dÕimage ! Juste le son et on a applaudi tous les 4 au premier but de Breitner. On était si heureux. Et le lendemain de cette rencontre, jÕai commenté le match avec mes camarades de classe comme si je lÕavais vu Pour ne pas passer pour le pauvre du quartier JÕai commenté parce que jÕai tout retenu des commentaires entendus à la télé. Tu nous as appris avec insistance à être fier de ce que nous sommes.
Je me souviens aussi de ta pudibonderie qui mÕaura marquée ! Tu étais gênée de voir ton propre père avec tes enfants. Et cela, personne nÕa pu me lÕexpliquer jusquÕà ce jour Nous nÕavions pas internet et donc je ne pouvais faire des recherches sociologiques pour comprendre la complexité des rapports que tu avais avec la famille, mon père, les voisins De même que je ne tÕai jamais vu dormir dans la même chambre que mon père. Tu as toujours dormi avec tes 6 filles dans une chambre. Et tes 4 fils dans une autre. Mon père régnait sur la famille comme un Pacha ! Il avait le droit à SA chambre. Sa Radio. Ses tapis de prières. Ses assiettes à lui. Ses journaux.Et cÕest moi qui avais le privilège de lui emmener SON repas dans SA Chambre. Mais jÕétais récompensé pour ce service. CÕest encore moi qui allait cherchait le plateau repas de mon père. Et cÕest moi qui finissait ses restes. Et ce privilège je lÕai gardé malgré la jalousie de mes frères avec qui pourtant il mÕarrivait de partager les restes de mon père.
Je me souviens de tes tremblements et de tes angoisses à lÕapproche des examens et surtout à lÕarrivée des bulletins de note de tes enfants. Avant la mort de mon père. Tu redoutais la punition physique que lÕon subissait chaque fois quÕon avait moins de 10/20 à une matière. De ce jour où mon frère Abdelkader a été battu par mon père jusquÕà ce quÕil perde connaissance. Pour avoir eu un 5/20 en espagnol !!! Tu ne pouvais arrêter cette violence de mon père. Ni tes pleurs, ni les pleurs de tes enfants devant cette scène atroce nÕont pu adoucir mon père. On subissait ! En silence. Et les voisins ne le savaient pas.
JÕai toujours été émerveillépar la complicité que tu avais avec tes filles et moins avec tes garçons. Je tÕai maintes fois surpriseÈ en cachetteÈ de parler de sujets très personnels avec Hamida qui avait des soucis avec son mari sur le plan intime. Des soucis que lÕon traite à présent sur des forums de psycho sur le web. Surpris et jaloux. Car moi aussi je voulais te confier des secrets relatifs à notre voisine Ghania, mon premier amour. Mais je nÕai jamais pu. Alors que tu savais que jÕaimais cette fille. Et quÕelle ne venait pas chez nous que pour que je lÕaide à faire ses devoirs de maths. Mais tu tÕarrangeais à ce que lÕon reste seuls dans ma chambre et ne pas être dérangés. Je me souviens de ce jour où tu nous as même fermés à clés dans ma chambre pour que Ghania se concentre mieux dans ses devoirs Il est vrai que son père faisait partie de ceux qui nous aidaient financièrement. Je me contentai de cela ya Emma !!!JÕétais si heureux.
Quand jÕai eu mon Bac, je voulais faire du journalisme. Je rêvais dÕêtre journaliste. Pour écrire. Décrire. Rapporter. Commenter. Voyager. Interroger. Expliquer. Deux raisons mÕont en empêché ! LÕarabisation de la filière journalistique et le fait que lÕon ne disposait que dÕune misérable bourse qui ne mÕaurait pas permis de tÕaider financièrement. Alors, pour enfin commencer à tÕaider, jÕai suivi la filière agronomique à lÕINA dÕEl harrach. Où, dès la première année on avait un pré-salaire de 1000 DA par mois. Enorme à lÕépoque. 1000 DA !!! le rêve Adieu le journalisme. Bonjour les vaches, les moutons, les abeilles et la steppe algérienne ! Je me souviens alors de mon premier pré-salaire. Un rappel de 3 mois. 3000 DA !!! Je suis enfin devenu riche !!! Et de mon premier à achat pour la famille : une télé Sonelec en noir et blanc ! JÕen pleurais de joie de me voir enfin contribué au bonheur familial. Tu étais fier de moi Ya Emma. Mais surtout par rapport aux voisins ! Tu étais obsédée par le regard des voisins !
Tu ne comprenais pas le journal télévisé pourtant en arabe. Je tÕexpliquais et te traduisais ce que lÕon veut bien nous expliquer dans cette UNIQUE chaine. La RTA !! Il nÕy avait pas de parabole à cette époque.
Au moment de la décennie noire quÕa traversée lÕAlgérie, tu mÕas encouragé à quitter un pays où un marchand de cacahuètes gagnait plus quÕun prof de Fac. JÕai longtemps résisté à cette injonction. Tu as fini par me convaincre. Mais je tÕai toujours épargné toutes les difficultés que jÕai pu avoir avant de trouver ma place dans cette France des paradoxes. Par peur que tu te culpabilises de mÕavoir encouragé à émigrer. Je nÕaimais pas cette frange dÕémigrés insolents et méprisants, vivant de RMI et dÕaides sociales et qui venaient au bled nous en mettre plein les yeux, construire des maisons à quatre étages, rouler en 4x4 ! Devant un peuple désÕuvré et écrasé par lÕinjustice ! Je nÕaimais pas cet étalage de richesse que matérielle. Et cÕest toi qui me disait souvent : la vrai richesse nÕest pas dans le porte-monnaie, mais dans le cÕur. JÕavais aussi retenu de toi cette phrase que jÕaffectionne la vraie beauté comme la vraie laideur sont dans les cÕurs pas dans les corps. Je notais toutes les belles phrases et dictons que tu nous disais.
Tu es en repos Ya Emma je ne veux pas perturber ce repos éternel en te parlant de la famille ou de la situation du pays. Encore moins de moi. Sois en rassurée Coté famille, ça va. Quant à lÕAlgérie ÇQuoi te direÈ Ben ça va quand même malgré tout. Repose en paix. Tu as été femme ! Tu as été mère. Tu ignorais tout des débats sur les droits des femmes. Faute de temps. Je tÕai toujours aimé et je tÕaimerai toujours.
PS. Sarko a été battu. Le FLN est revenu au pouvoir. Le prix de la pomme de terre a
a baissé. On parle toujours de Boumediene.